par Mathieu Guénette, c.o,
Directeur des services professionnels chez Brisson Legris
Photo : Annie Desrochers
Souvenirs d’adolescent
Quand j’étais adolescent, je m’imaginais devenir un grand écrivain : un artiste tourmenté qui sombrerait éventuellement dans la folie, un peu comme le poète Émile Nelligan. J’étais convaincu qu’une telle existence ferait de moi un auteur passionnant et surtout, me rendrait beaucoup plus crédible aux yeux du reste de la planète.
Je me préparais à vivre pauvrement dans un sous-sol, à Montréal, éternel célibataire, évidemment sans enfant. Malheureux en amour : destin plutôt cool pour le plus important des écrivains de sa génération, non? Bien entendu, j’allais mourir jeune et d’une façon singulière. Je n’avais pas encore réfléchi aux détails pratiques relatifs à la fin de mon existence terrestre, mais je m’y serais attardé en temps et lieu.
En fait, pendant mon adolescence, ce n’est pas tant les histoires que j’écrivais qui étaient divertissantes que toutes les conneries sur mon propre compte auxquelles j’ai pu croire.
À cette époque, ce qui était le plus clair pour moi, c’est que je n’allais surtout pas ressembler à mes parents. Pourtant, ceux-ci n’avaient rien de si terrible. Ils m’apparaissaient juste terriblement ordinaires.
Je me demande parfois ce qu’aurait pensé l’adolescent que j’étais, s’il avait croisé sur sa route le conseiller d’orientation que je suis devenu. Sans doute, se serait-il dit qu’il était tout simplement impossible que je puisse le comprendre. Peut-être aussi m’aurait-il perçu comme un raté ayant abandonné son rêve d’adolescent… Pourtant mon travail me passionne plus que tout et l’écriture occupe toujours une place essentielle dans ma vie.
Lorsque je reçois des jeunes et discute avec eux de leur choix de carrière, je ne peux m’empêcher de me rappeler ce gars bizarre que j’ai été pendant mes études secondaires. Et bien qu’il soit rare que je rencontre leurs parents, je pense souvent à eux. Et si leur enfant ressemble un tant soit peu à l’adolescent que j’étais, un vif sentiment de sympathie à leur égard m’envahit.
La place du parent
Avant d’entamer une démarche avec un jeune, il m’arrive parfois de discuter au téléphone avec ses parents. La plupart du temps, ceux-ci énumèrent leurs préoccupations à toute vitesse : « Quand Alexandra avait six ans, elle avait de la difficulté à se faire des amis. Un professeur nous a déjà dit qu’elle avait peut-être un déficit d’attention. Je vous le dis, car elle sera probablement trop gênée pour vous en parler. »
À la fin de mon premier entretien avec un adolescent, je rencontre les parents; certains d’entre eux dissimulent mal leur inquiétude et semblent avoir besoin d’être rassurés. Ils me posent des questions, timidement, ne semblant pas savoir s’ils ont vraiment le droit de le faire : « Alors, les nouvelles sont bonnes? Vous pouvez me dire un petit quelque chose? À moi, mon enfant ne dit jamais rien. »
Je ne vous cacherai pas que si certains jeunes entretiennent d’excellentes relations avec leurs parents, d’autres semblent considérer leur père et leur mère comme des composantes superflues de leur anatomie, prolongements inutiles d’un de leurs bras ou d’une de leurs jambes, qui pendouillent dans le vide. Ces jeunes semblent tout à fait conscients qu’ils ne peuvent se défaire de ces excroissances parentales, du moins à ce stade-ci de leur vie, et en attendant, tentent de composer avec celles-ci.
Il n’est pas rare que je sente une tension insoutenable entre le jeune et ses parents, la présence d’un conflit perpétuel et insoluble. J’ai alors l’impression de me trouver devant des êtres isolés, chacun dans leur navette au cœur de l’espace intersidéral, qui ne parviennent plus à rétablir le contact, malgré toute l’affection déréglée qu’ils ressentent l’un pour l’autre.
Parfois, le désordre confus que crée cette communication déficiente s’avère un enjeu plus important que la difficulté liée au choix d’orientation.
Quand j’ai commencé à exercer ma profession, je trouvais les jeunes ingrats : je ne comprenais pas qu’ils affichent un tel détachement à l’égard de parents, que je trouvais souvent fort dévoués.
Avec le recul, je suis en mesure de constater qu’à cette époque, je ne pensais pas à l’adolescent que j’avais été. Ayant moi-même un fils, sans doute anticipais-je déjà ce jour où il me trouverait encombrant…
Je ne saisissais pas alors que ces adolescents n’étaient pas réellement indifférents à leur famille : ils cherchaient plutôt un moyen de s’affranchir de leur enfance et de devenir enfin des adultes à leur tour. Derrière leurs manières peut-être maladroites, se cachaient surtout une volonté d’indépendance, un besoin de penser par eux-mêmes.
Le besoin du parent
Chez Brisson Legris, nous discutons régulièrement des services que nous offrons à notre clientèle. Nous nous remettons en question, cherchons à aller plus loin et tentons d’anticiper ses besoins.
Nous avons dû nous rendre à l’évidence : nos conversations revenaient souvent sur la réalité des parents. Nous en sommes venus à la conclusion que si la démarche d’orientation est bien sûr l’affaire du jeune, il n’en demeure pas moins que les parents y sont étroitement impliqués. Ils se posent eux aussi un grand nombre de questions, des questions qui nous apparaissent bien légitimes.
Généralement, ils sont confinés dans un rôle de figuration et doivent garder leur opinion pour eux afin de ne pas trop influencer leur enfant. Le conseiller d’orientation, de son côté, ne doit pas trop leur en dire, afin de respecter la confidentialité de ses entretiens avec le jeune. Et pourtant, dans bien des cas, les parents souhaitent s’engager de tout cœur dans la démarche de leur enfant.
Leur rôle ne devrait pas se limiter à initier la démarche, à reconduire leur enfant à nos bureaux, à patienter dans la salle d’attente, à payer les services… Les parents sont des références pour les jeunes, ce sont les premiers adultes sur le marché du travail qu’ils ont connus.
Si les parents savaient jouer leur rôle encore plus efficacement, n’apporteraient-ils pas une encore plus précieuse à leur enfant? Du coaching de parent… mais pourquoi pas?
Il est peut-être temps que nous accordions aux parents l’attention qu’ils méritent.