par Mathieu Guénette, c.o,
Directeur des services professionnels chez Brisson Legris
Photo : Annie Desrochers
Le contrat initial Entreprise-Employé
Il y a plusieurs années, j’ai suivi un cours de gestion où le professeur avertissait sa classe qu’il ne fallait jamais, au grand jamais, aimer les entreprises.
Selon ses propos, l’entreprise n’est qu’un système permettant de créer du profit. À partir du moment où il y a besoin, elle prend naissance et le jour où elle ne sait plus répondre à sa mission financière, son destin est de mourir. Si la direction de l’entreprise y est trop attachée, elle manquera de distance au moment propice pour prendre les bonnes décisions.
Puis, à leur tour, combien d’employés ont souffert, parce qu’ils ont aimé une entreprise pendant des années de tout leur cœur, qu’ils ont donné sans compter et qu’ils ont fini par se faire larguer, le jour où les dirigeants considéraient ne plus avoir besoin d’eux?
D’ailleurs, beaucoup ne se gênent pas pour exprimer du cynisme envers l’ensemble de nos institutions. La confiance envers les entreprises est en chute libre, le niveau d’engagement de bien des travailleurs semble en être compromis et les liens affectifs se sont étiolés au fil du temps.
De nos jours, la relation entre l’entreprise et l’individu se limite souvent à un rapport donnant donnant comme dans la chanson de Passe-Partout sur les métiers qui a marqué mon enfance ainsi que celle de toute ma génération :
J’te donne des sous, tu me donnes ton aide
Pour mon problème, t’as un remède
C’est ton travail, c’est ton métier
Quand j’suis mal pris, il faut m’aider
C’est clair, il n’est pas question d’amour là-dedans, juste d’une transaction. Il n’y a aucune autre attente de la part de personne, on s’en tient strictement au contrat.
C’est pourquoi en lisant J’ai perdu ma montre au fond du lac de Rémi Tremblay, j’ai été surpris par les trois valeurs (courage, humilité, amour) sur lesquels reposent sa conception de la gestion. En fait, surtout la troisième.
Courage : pas de problème avec cela, j’ai toujours su qu’un bon patron devait prendre les décisions qui s’imposaient, même si sur le coup, elles s’avéraient impopulaires.
Humilité : d’accord, il faut savoir prendre du recul. L’orgueil est souvent le défaut qui a causé la perte de plusieurs leaders, même parmi les plus puissants d’entre eux.
Mais Amour??? Il s’agit bien d’Amour??? Aimer, est-ce une aptitude? Est-ce que cela pourrait faire l’objet d’un plan de développement pour un cadre? En d’autres mots : J’te donne des sous, tu me donnes ton amour. Je ne sais pas du tout si Passe-Partout serait d’accord avec ça!!!
A-t-on encore besoin d’amour à notre époque?
Pour des raisons démographiques, l’entreprise québécoise connaît et va connaître de plus en plus de difficulté dans son recrutement et à retenir ses ressources-clé. Selon les spécialistes, pour deux personnes prêtes à partir pour la retraite, il y en aura une seule disponible pour intégrer le marché du travail.
Les employeurs se plaignent souvent de l’attitude désabusée de la génération X et de l’individualité de la génération Y. Aussitôt qu’ils se font offrir une légère augmentation par un concurrent, ils quittent tout et nous le laisse savoir en nous envoyant un texto!
Pour différentes raisons, de plus en plus d’employés éprouvent une impression de vide dans ce qu’ils font. À la longue, la motivation pour eux ne peut se restreindre à une simple question d’argent.
Déjà que le sens du sacré tend souvent à disparaître dans plusieurs aspects de notre vie, la religion, la sexualité, l’esprit de communauté, si nous renonçons d’entrée de jeu à trouver un sens à notre travail, ça laisse émerger un portrait un peu tristounet de l’existence. Rien d’étonnant à ce que la dépression ait été désignée la maladie du XXIe siècle en Occident!
Après l’organisation apprenante, l’organisation aimante?
Mais est-ce que mon professeur de gestion avait raison quand il clamait qu’il ne faut pas aimer les entreprises?
D’une certaine manière, peut-être bien, après tout.
L’entreprise n’est qu’une maison. Il en existe une variété de modèles, mais que ce soit une maison rénovée, ancestrale, mobile ou préfabriquée, ce qui compte, c’est avant tout la famille qui habite dedans, les relations entre chacun d’entre nous.
Par contre, la maison conserve une grande importance. Il y en a sans réelle fondation, des habitations mal conçues où tout le monde se pile sur les pieds ou d’autres, où chacun est condamné à demeurer dans son coin et où la communication devient alors impossible.
De plus, il y a des maisons qui auraient avantage à demeurer toutes petites pour garder sa famille bien unie à l’intérieur et éviter qu’à travers les années, l’amour qui y règne se disperse.
Comme l’affirmait mon professeur, le but d’une entreprise est de croître et de faire un maximum de profit. Si on la laisse faire, la maison par elle-même va chercher par tous les moyens d’étendre son territoire en se créant des annexes, s’ajouter des étages, se faire creuser un sous-sol.
Mais le but d’une famille, des gens qui vivent au sein de l’entreprise, c’est prendre soin précieusement de cet amour. L’amour de soi, l’amour des autres, l’amour du travail, l’amour de la vie.
Dans un couple, il est rare qu’on entende dire : chérie, on a une pièce en trop dans notre logement, il y a comme un vide, il faudrait bien qu’on se fasse un enfant de plus pour éviter que ça est l’air trop fou.
Dans un monde idéal, ça devrait être à la famille de déterminer la taille de sa maison et jamais l’inverse.
L’entreprise amoureuse, je sais bien que ça ne peut pas être implanté n’importe où, n’importe comment. Parfois, c’est la taille de l’organisation qui est problématique, d’autres fois la culture ou le modèle de gestion privilégié.
Mais ça n’empêche pas que de temps en temps, dans certains milieux, cela puisse être possible et pour tous ceux qui en ont encore envie, de pouvoir toujours y croire.